Ma chambre est la dernière pièce de l’appartement qui s’étale sur la moitié du 3ème étage de la grande bâtisse provençale.
En partie perchée sur d’énormes rochers, la vieille maison garde le frais en été comme tous les mas du midi savent le faire. Une barre de rochers qui lui donne son nom; le château de la Barre.
Il y a d’antiques moustiquaires aux panneaux de bois coulissants vers le haut, j’attrape le vertige à regarder dehors, je suis bien à 30 mètres du sol, les murs sont énormes, les espaces tarabiscotés, reliquats d’une époque où seules les robes des religieuses bruissaient ici…
J’aime cette maison. Elle a une vie propre, son passé se raconte à chaque pierre qui l’a bâtie, chaque porte branlante ... tous les vieux carreaux reflètent tant d’histoires.
Attenants à ma chambre au sol de tomettes, il y a un petit cabinet de toilette désuet et une porte vers le reste de l’étage.
Du haut de mes 12ans je suis la grande copine de notre propriétaire. Je vais souvent avec elle en balade, elle m’emmène à son travail en centre ville ou au creux des calanques dès la belle saison... et j’ai la permission de lever le loquet privé, de pousser la porte privée et de me réfugier dans la partie privée de notre étage, ce privilège n’appartient qu’à moi.
C’est une autorisation dont je n’abuse pas. Rares sont les fois où je peux échapper à ma mère et goûter cette chance.
Alors, lorsque je soulève la bobinette pour me faufiler dans un autre univers, calme, paisible, calfeutré ... je m’accompagne d’un soupir de soulagement discret.
Aussitôt la porte refermée, il me vient des mines et des grâces d’un autre temps. Du temps de femmes élégantes et corsetées naviguant délicatement parmi les meubles précieux, les belles étoffes, les vieux livres... Toutes sortes de contes sont à faire vivre et je ne m’en prive pas, soliloquant, un antique chapeau de guingois sur mes cheveux courts de préadolescente des eighties !
J’imagine, je revis... je suis enfermée dans un palais et mon bien aimé ne tardera plus. J’ai enfin 20ans mais ma vie est brisée par la jalousie d’une terrible rivale, je suis belle mais une affreuse malédiction pèse sur moi, qui viendra donc m’en délivrer....les scénarios ne varient pas beaucoup plus ... Je vis de pièces en pièces, poursuivie de poussières et de rayons biseautés par les persiennes, épuisant mon goût de la romance au gré de mon imagination si bien servie par ce décor.
Coupée du monde, je ne suis plus d’aucune ère.
J’emprunte un antique châle à peine mité, et d’un pas distingué poursuis mon vagabondage, tenant tête à mon improbable prétendant en déplaçant une belle aiguière ou arguant au milieu d’érudits faisant salon en ma demeure en agitant un éventail délicieusement dentelé...
Je lis déjà trop Stendal en somme !
Quant épuisée de tant de noblesse et lasse de ma grâce affectée, je me jette sur un lit dont le bois si bien ouvragé geint sous l’affront. Un énorme édredon tout plumeux et mœlleux me fait une place et loin de tous, j’embarque pour une autre histoire dans un autre temps.
Les pieds battants l’air les poings sous le menton, à plat ventre comme un oison dans son nid, je pique le nez dans les aventures de Bécassine.
Toute une collection d’ouvrages originaux du début du siècle, en parfait état, à la vieille odeur d’encre, aux pages cousues serrées, aux couvertures cartonnées habillées d’images désuètes sont à moi!
Rien que les dates d’impression me font rêver ....1917...1925... Je les économise, j’aimerais que ma lecture soit sans fin, je m’imprègne de chaque bulle, chaque dialogue. J’y suis !
Madame de Grand’Air, les gaffes pleine de bonne volonté de Bécassine, le Paris de la belle-époque, les vieilles autos, les manières passées et Loulotte, enfant adoptée que j’envie si fort...
« Paaaauuuull !!! » « Tu dors ??? »
Du rez-de-chaussée de l’immense demeure monte la rituelle question quotidienne. D’un grand appel, Madame Meunier questionne son mari dès son retour quelle qu’en soit l’heure.
Le chien aux grandes oreilles ramasses poussière sur les talons, elle grimpe les étages jusqu’à la chambre de Monsieur Meunier. Le vieil homme reste alité la majeure partie du temps, la maladie de Parkinson ne lui laissant que peu de répit.
Ma présence au-dessus se veut rassurante. Du moins c’est mon passe droit, l’alibi donné pas mon amie ayant bien 5 fois mon âge, pour valider cette autorisation que mes parents me refuseraient autrement,.
Pas sûr pourtant que je l’entende ce brave homme tellement les murs sont épais.
J’inclus donc à mes scénettes romancées une majestueuse descente d’escaliers... autrement dit une volée de 20 marches de carreaux d’argile, sur la pointe des pieds, et la main glissant sur la rambarde de bois lisse aussi élégamment que possible, puis un arrêt stratégique me fige à mi-couloir... je n’oserais jamais aller jusqu’à la chambre, le vieux monsieur m’effraie un peu tout de même moi l’innocente demoiselle... je tends l’oreille et guette un éventuel brigand... non un éventuel appel du malade ! Et comme tout reste tranquille, je repars discrètement vers mes appartements poursuivre mes chimères jusqu’à ce que ma mère, mécontente de ce plaisir malgré elle finisse par me rappeler...
Qu’importe... bientôt je recommencerai !
7 commentaires:
Je me suis reconnue, mais ce n'était pas Bécassine que je lisais enfouie dans les édredons de plume de ma grand mère, mais la semaine de Suzette, merci Shantti de faire resurgir comme dans un rêve des souvenirs d'enfance poussiéreux comme les dentelles anciennes familialles, que je sors souvent et n'ose pas couper.
Je rêve... je plane... j'y suis...
Merci
pas je plane mais je m'évade...ppfff... ;)
Magnifique.
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Encore une jolie histoire,vite la suite. Dis shantii est -ce toi l'auteur?
Dans la revue "Pays de Provence thématique" il y a un spécial balades et randos édition 2006 avec, en page 72, un article sur Cotignac dans le Var... cela pourrait peut-être t'intéresser !
Il n'y a qu'à fermer les yeux, et on y est. Merci de nous faire rêver comme ça.
Merci aussi pour ton petit mot sur mon blog. Ma chipinette de chienne va mieux, quand elle n'est pas "victime" c'est une véritable faiseuse de bêtises, mais on l'aime comme ça !
Cerise
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